Suite à mon article d’introduction, voici l’étude menée durant mes études. Il s’agit d’une étude sur de petits effectifs, ce qui n’est donc pas généralisable à toute cette population. Toutefois, cela apporte des pistes de réflexion interessante.
- Le contexte de l’étude
Comme nous les avons explicitées progressivement au fil de cette introduction (cf. La précocité intellectuelle), certaines questions restent actuellement sans réponses précises. Nous nous questionnons donc notamment sur les différentes dimensions de l’estime de soi ainsi que sur le sentiment d’efficacité personnelle chez les enfants intellectuellement précoces.
Pour rappel, nous avons mentionné l’étude de Kostogianni, Daoudi et Andronikof (2009) qui nous montre que certaines dimensions varient en fonction du profil cognitif. Plus précisément, ils nous montrent que les surdoués verbaux se dévalorisent davantage, éprouvent moins d’intérêt pour autrui et davantage de difficulté dans les relations interpersonnelles que les surdoués au profil homogène. Ainsi, les surdoués verbaux semblent être davantage sensibles aux difficultés d’adaptation. Nous nous sommes alors demandé si cet impact varie en fonction des différentes dimensions de l’estime de soi mesurée ainsi que du sentiment d’efficacité personnelle.
De même, nous avons mentionné que le genre semble avoir un impact sur l’estime de soi (Coriat, 1987 ; André et Lelord, 2008 ; Chassangre et Callahan, 2015). Nous nous demandons plus précisément si cet impact varie en fonction de la dimension de l’estime de soi mesurée, et s’il a aussi un impact sur le sentiment d’efficacité personnelle. De même, cet impact varie-t-il en fonction de l’ICV (Indice de Compréhension Verbal au test WISC) ?
N’ayant pas de données issues de la littérature sur cette variable, nous nous demandons aussi si un effet existe en fonction du parcours scolaire de l’enfant. Nous nous intéressons ici à la question du passage anticipé. A-t-il un effet sur les différentes dimensions de l’estime de soi et sur le sentiment d’efficacité personnelle ? Cet effet varie-t-il en fonction du genre, ou de l’ICV ?
Pour résumer, les nombreuses questions soulevées par les études antérieures nous amènent à formuler plusieurs hypothèses en fonction des variables analysées. Tout d’abord, nous faisons l’hypothèse que les filles présentent une plus faible estime de soi sur le plan émotionnel, social et scolaire ainsi qu’un plus faible sentiment d’efficacité personnelle que les garçons. Dans un second temps, nous investiguerons l’hypothèse que les enfants ayant effectué un passage anticipé présentent une meilleure estime de soi sur le plan émotionnel, social et scolaire, ainsi qu’un meilleur sentiment d’efficacité personnelle que ceux n’ayant pas effectué de passage anticipé. Concernant le profil cognitif, nous faisons l’hypothèse suivante : les enfants intellectuellement précoces ayant un Indice de Compréhension Verbal aux échelles de Wechsler significativement supérieur aux autres indices présentent une estime de soi et un sentiment d’efficacité personnelle plus faible que ceux n’ayant pas un ICV significativement supérieur aux autres indices.
- Méthodologie
Participants :
Pour cette étude, 12 enfants scolarisés dans les écoles *** ont participé. L’âge des participants va de 6 ans à 10 ans, et la moyenne est de 8 ans. Ces enfants ont été sélectionnés en fonction de leur profil cognitif aux échelles de Wechsler (WPPSI-III ou IV et WISC-IV). Afin d’entrer dans l’étude, les enfants devaient présenter au moins un indice supérieur à 130, justifiant d’un haut potentiel intellectuel dans au moins un domaine d’intelligence.
Différents groupes ont été constitué afin d’analyser les différents facteurs :
Filles | Garçons | Passage anticipé : Oui | Passage anticipé : Non | ICV > aux autres indices | ICV /> aux autres indices |
6 | 6 | 5 | 7 | 7 | 5 |
Matériel :
Afin de mesurer le sentiment d’efficacité personnelle et l’estime de soi, nous avons utilisé deux questionnaires.
- L’échelle Toulousaine d’Estime de Soi de N. Oubrayrie :
Cette échelle a été légèrement modifiée afin de faciliter la compréhension de certaines phrases pour les plus jeunes participants. Cette échelle permet la mesure de cinq dimensions de l’estime de soi : émotionnelle, projective, physique, sociale et scolaire. Dans le cadre de notre étude, nous avons choisi de supprimer les questions concernant l’estime de soi projective et physique étant donné le jeune âge de certains participants. Pour répondre, les enfants disposent de 5 choix, allant de « Pas du tout d’accord » à « Tout à fait d’accord ». Le questionnaire complet se trouve en annexe 2.
- L’échelle d’évaluation du Sentiment d’Efficacité Personnelle de Sherer et Col. (Traduction et adaptation par O. CHAMBON) :
Cette échelle mesure le sentiment d’efficacité personnelle par les enfants en 21 questions. Deux sous-échelles se distinguent : l’une évalue le sentiment d’efficacité personnelle de manière général, l’autre dans le contexte social. Pour répondre, les participants disposent de 5 choix, allant de « Pas du tout d’accord » à « Tout à fait d’accord ». Le questionnaire complet se trouve en annexe 3.
Pour chacune des deux échelles, les réponses des enfants à chaque question sont cotées de 0 à 1.
Procédure :
Après avoir reçu l’accord des enseignants et parents, les enfants sont reçus individuellement, sur le temps scolaire. La raison de notre rencontre leur est expliquée, ainsi que l’anonymat de leur réponse. Il est ensuite proposé aux enfants de répondre aux deux questionnaires, tout en leur indiquant qu’il est important qu’ils disent ce qu’ils ressentent, qu’il n’y a pas de mauvaises réponses. Leur accord leur est ainsi demandé.
L’expérimentateur reste à disposition afin que l’enfant puisse le questionner si l’une des propositions lui pose des difficultés, ainsi que pour aider les plus petits et ceux qui en manifestent le besoin à la lecture.
La durée des rencontres varie notamment en fonction de l’âge des enfants, ainsi que de la rapidité de réflexion de chacun. Ainsi, les entretiens durent entre 20 et 45 minutes.
Variables :
Deux variables dépendantes sont mesurées :
- Le Sentiment d’Efficacité Personnelle (SEP), divisé en deux dimensions : général et social.
- L’estime de soi (ES), divisée en trois dimensions : émotionnelle, sociale et scolaire.
Nous allons nous intéresser aux variations de ces trois mesures en fonction de trois variables indépendantes différentes :
- Le genre (féminin ou masculin).
- Le passage anticipé (effectué : « O » ou non effectué « N »).
- Le profil cognitif aux échelles de Wechsler (ICV significativement supérieur aux autres indices ou ICV non significativement supérieur (groupe hétérogène)).
- Résultats
- Résultats généraux
En analysant l’ensemble des données recueillies auprès des enfants intellectuellement précoces que nous avons rencontrés à l’aide du test de Student, nous observons que le sentiment d’efficacité personnelle de manière générale (M = 0.78, E.T = 0.11) diffère significativement de l’estime de soi émotionnelle (M = 0.70, E.T = 0.18). Ainsi, le sentiment d’efficacité personnelle de manière générale est significativement supérieur à l’estime de soi émotionnelle chez les enfants intellectuellement précoces, t (11) = 2.30, p <.05. Nous observons aussi une différence entre le sentiment d’efficacité personnelle générale et l’estime de soi scolaire qui ne ressort toutefois pas comme significative avec un indice de confiance de 95% (p = .057).
D’après l’analyse des corrélations, il semblerait qu’il y ait un lien entre le sentiment d’efficacité personnelle de manière générale, et l’estime de soi émotionnelle, r = .74, p = .006. Il semblerait qu’il existe aussi une corrélation, plus faible, entre le SEP général et l’estime de soi scolaire, r = .65, p = .02, ainsi qu’entre l’estime de soi émotionnelle et l’estime de soi scolaire, r = .64, p = .02.
2. L’effet du genre
A l’aide du test de Student, nous observons un effet significatif du genre sur l’estime de soi sociale, t (10) = 2,61, p <.05. Les filles (M = 0.80, E.T = 0.12) présentent une estime de soi sur la dimension sociale significativement supérieure aux garçons (M = 0.59, E.T = 0.16). Toutefois, nous n’observons pas d’effet du genre sur le sentiment d’efficacité personnelle de manière générale (p =.65) et en contexte social (p =.37), ni sur l’estime de soi émotionnelle (p =.44) et scolaire (p =.65).
Chez les garçons, nous observons une corrélation entre l’estime de soi émotionnelle et l’estime de soi sociale, r = .81, p = .05. Cette corrélation s’observe aussi chez les filles, r = .84, p = .03. Cependant, chez les filles nous observons de nombreuses autres corrélation, notamment entre le sentiment d’efficacité personnelle en contexte social et l’estime de soi scolaire, r = .96, p = .003, mais aussi avec l’estime de soi social, r = .91, p = .01, et avec l’estime de soi émotionnelle, r = .90, p = .01. L’estime de soi émotionnelle est aussi fortement corrélée au sentiment d’efficacité personnelle général chez les filles, r = .94, p = .005.
3. L’effet du passage anticipé
A l’aide du test de Student, nous n’observons aucun effet du passage anticipé sur le sentiment d’efficacité personnelle général (p =.78) et les différentes dimensions de l’estime de soi (émotionnelle : p =.84 ; sociale : p =.84 ; scolaire : p =.55). Malgré une différence observable sur le sentiment d’efficacité personnelle en contexte social, nous n’observons pas de différence significative entre les enfants ayant effectué un passage anticipé (M = 0.63 ; E.T = 0.19) et ceux n’en ayant pas effectué (M = 0.80 ; E.T = 0.14), p =.11.
Chez les enfants ayant effectué un passage anticipé, nous observons une corrélation entre le sentiment d’efficacité personnelle général et l’estime de soi émotionnelle, r = .79, p =.03, ainsi qu’avec l’estime de soi scolaire, r = .81, p = .03. Ces deux corrélations ne s’observent pas chez les ayant n’ayant pas effectué de passage anticipé. Toutefois, dans ce second groupe, nous observons une forte corrélation entre le sentiment d’efficacité personnelle en contexte social et l’estime de soi scolaire, r = .97, p = .006, ainsi qu’entre l’estime de soi émotionnelle et sociale, r = .90, p = .04.
4. L’effet du profil cognitif aux échelles de Wechsler
La différence observable sur l’estime de soi émotionnelle entre les enfants avec un haut potentiel verbal significativement supérieur aux autres indices (M = 0.79, E.T = 0.17) et les enfants du groupe hétérogène (M = 0.59, E.T = 0.12) ne ressort pas comme significative au test de Student avec un indice de confiance à 95%, t (10) = 2.16, p = .056. De même, nous n’observons aucun effet du profil cognitif sur le sentiment d’efficacité personnelle (général : p = .15 ; contexte social : p = .23) et les différentes dimensions de l’estime de soi (sociale : p = .85 ; scolaire : p = .13).
Chez les enfants ayant un haut potentiel verbal significativement supérieur aux autres indices mesurés par les échelles de Wechsler, nous observons une corrélation entre le sentiment d’efficacité personnelle général et l’estime de soi scolaire, r = .83, p = .02. Cette corrélation ne s’observe pas dans le groupe hétérogène, mais nous y observons une forte corrélation entre le sentiment d’efficacité personnelle général et l’estime de soi émotionnelle, r = .93, p = .02. De même, une corrélation ressort entre le sentiment d’efficacité personnelle en contexte social et l’estime de soi sociale, r = .90, p = .04.
- Discussion
- Rappel du cadre théorique et des hypothèses
Pour rappel, nous avons mentionné que le genre semble avoir un impact sur l’estime de soi, avec notamment une plus faible estime de soi chez les filles que chez les garçons (Chassangre et Callahan, 2015 ; Andre et Lelord, 2008). De même nous avons mentionné l’étude de Kostogianni, Daoudi et Andronikof (2009) qui nous montre que certaines dimensions varient en fonction du profil cognitif, avec notamment une plus grande dévalorisation de soi chez les surdoués verbaux. N’ayant pas de données issues de la littérature concernant le passage anticipé mais face aux informations dont nous disposons concernant le fonctionnement psychologique des enfants intellectuellement précoces (« effet Pygmalion négatif » de Terrassier (2011) notamment) nous avons aussi souhaité nous y intéresser, étant donné que c’est une question qui se pose relativement fréquemment suite à la découverte d’un haut potentiel.
Nous avions ainsi formulé plusieurs hypothèses : premièrement, nous avons fait l’hypothèse que les filles présentent une plus faible estime de soi sur le plan émotionnel, social et scolaire ainsi qu’un plus faible sentiment d’efficacité personnelle que les garçons. Dans un second temps, nous avons émis l’hypothèse que les enfants ayant effectué un passage anticipé présentent une meilleure estime de soi sur le plan émotionnel, social et scolaire, ainsi qu’un meilleur sentiment d’efficacité personnelle que ceux n’ayant pas effectué de passage anticipé. Puis dans un dernier temps, nous avons formulé l’hypothèse suivante : les enfants intellectuellement précoces ayant un Indice de Compréhension Verbal aux échelles de Wechsler significativement supérieur aux autres indices présentent une estime de soi et un sentiment d’efficacité personnelle plus faible que ceux n’ayant pas un ICV significativement supérieur aux autres indices.
- Rappel des principaux résultats et discussion générale
Dans un premier temps, nous avons observé chez l’ensemble des enfants intellectuellement précoces que nous avons rencontrés un lien entre le sentiment d’efficacité personnelle générale et l’estime de soi émotionnelle. En effet, d’une part, l’estime de soi émotionnelle apparait comme significativement inférieure au sentiment d’efficacité personnelle générale, et d’autre part, nous observons qu’il existe une forte corrélation entre ces deux mesures. En effet, étant donné l’hypersensibilité fréquemment associée à la précocité intellectuelle, nous pouvons penser que cela conduit ces enfants à disposer d’une plus faible estime de soi sur la dimension émotionnelle. Ainsi, nous pourrions être amenés à penser que, de base, celle-ci est inférieure au sentiment d’efficacité personnelle générale. Toutefois, rappelons Bandura (1997) qui mentionne l’état émotionnel comme l’un des quatre facteurs impactant le sentiment d’efficacité personnelle. Ainsi, nous pourrions expliquer la corrélation observée par le fait que plus l’estime de soi émotionnelle est élevée, plus le sentiment d’efficacité personnelle le sera.
Dans un second temps, nous avons observé un effet significatif du genre sur la dimension sociale de l’estime de soi. Il semblerait que les garçons présentent une plus faible estime de soi sociale que les filles. Aucune différence en fonction du genre n’apparait sur les autres dimensions de l’estime de soi, ou sur le sentiment d’efficacité personnelle. Par ailleurs, nous n’observons aucun effet du passage anticipé au niveau scolaire supérieur et du profil cognitif sur les différentes dimensions de l’estime de soi et sur le sentiment d’efficacité personnelle. Nous observons ainsi que nombre de nos hypothèses se trouvent invalidées par nos résultats. Lorsqu’il y a effet du genre, celui-ci ne se manifeste que sur la dimension sociale de l’estime de soi et non sur le sentiment d’efficacité personnelle. De plus, cet effet nous montre finalement que ce sont les garçons qui présentent une estime de soi plus faible que les filles, mais uniquement sur la dimension sociale. Nos hypothèses concernant le passage anticipé et le profil cognitif se trouvent aussi invalidées, étant donnée l’absence d’effet significatif. Comment expliquer cela ?
Tout d’abord, ce qui ressort notamment est donc la différence entre les garçons et les filles intellectuellement précoces pour ce qui concerne l’estime de soi sociale, en faveur des filles. Cette observation semble à première vue contradictoire aux études précédemment réalisées, montrant que l’estime de soi est plus faible chez les filles que chez les garçons. Toutefois, nous avons aussi évoqué l’étude de Chassangre et Callahan (2015) qui évoque la variable « Fear of succes », soit la crainte de la réussite, présente chez les filles. Cette variable amènerait chez les filles une crainte d’être marginalisée et ainsi désocialisée si elles présentent de très bons résultats scolaires. Elles ont alors tendance à ne pas investir pleinement leur potentiel, voire même à le nier. Cela leur permettrait ainsi de conserver une meilleure estime de soi sur le plan social. Nous observons ainsi chez les filles de nombreuses corrélations, comme notamment entre le sentiment d’efficacité personnelle en contexte social et l’estime de soi scolaire et sociale. Cela semble en effet confirmer ce que nous évoquons. La dimension scolaire et la dimension sociale semblent très liées chez les filles, qui craignent davantage une marginalisation. Ainsi, plus leur sentiment d’efficacité personnelle en contexte social sera élevé, meilleure sera leur estime de soi sur les dimensions sociale et scolaire.
Les garçons, qui semblent nettement moins affectés par cette variable « Fear of succes », investissent plus sereinement leur potentiel intellectuel. De ce fait, ils pourraient alors être atteints par ce ressentit de marginalisation, et ainsi présenter davantage de difficultés en contexte social. En effet, il n’est pas évident pour les jeunes garçons de tenir cette position d’enfant intellectuellement précoce, de « surdoué », au sein d’un groupe, pouvant engendrer des moqueries et parfois même un rejet et mettant ainsi les capacités d’adaptation sociale de l’enfant à rude épreuve.
Dans un autre temps, concernant le passage anticipé au niveau scolaire supérieur, nous pensions que ceux en ayant effectué un aurait une meilleure estime de soi sur chacune des dimensions mesurées. Concernant la dimension scolaire, nous avons mentionné le fait que les enfants intellectuellement précoces présentent le besoin que leurs capacités soient reconnues, au risque sinon d’engendrer un « effet pygmalion négatif » (Terrassier, 2011). Nous pensions alors que le passage anticipé favoriserait chez l’enfant le sentiment que ses compétences sont reconnues, et que son environnement scolaire s’y adapte. Nous avions alors formulé l’hypothèse que l’estime de soi serait meilleure chez ces enfants ayant effectué un passage anticipé. Cette hypothèse est toutefois infirmée, ce qui nous montre que le passage anticipé ne semble pas avoir d’impact sur le sentiment d’efficacité personnelle et les différentes dimensions de l’estime de soi. Toutefois, cela nous montre l’intérêt que le passage anticipé ne soit pas systématique. En effet, l’aspect psychologique de celui-ci est immédiatement évoqué lorsque la question se pose, car celui-ci ne représente pas nécessairement la meilleure réponse possible à donner à l’ensemble des enfants reconnus précoces. Ainsi, si nous n’observons pas de différence sur nos variables, cela peut être le reflet que ce choix de proposer ou non le passage anticipé en fonction du profil psychologique de l’enfant est justifié. Certes, il ne favorise pas l’estime de soi ou le sentiment d’efficacité personnelle, mais il n’a pas engendré de diminution non plus chez nos participants. Ce qui ressort est effectivement que celui-ci doit être proposé aux enfants dont le profil psychologique permet de l’effectuer dans de bonnes conditions afin qu’il puisse être bénéfique pour l’enfant. Toutefois, notons que nous observons une corrélation positive entre le sentiment d’efficacité personnelle en contexte social et l’estime de soi scolaire, notamment chez les enfants n’ayant pas effectué de passage anticipé. Cela induit l’hypothèse que plus l’enfant se sent adapté socialement, plus son estime de soi scolaire sera élevée. Cette corrélation semble appuyer la question du vécu de son intégration sociale par l’enfant intellectuellement précoce dans le cadre scolaire sur son estime de soi. Plus l’enfant se sent capable de s’adapter à ses pairs, plus il pourra investir les apprentissages scolaires de façon positive et présenter une meilleure estime de soi dans le cadre scolaire.
Abordons dans un autre temps la question de l’interaction entre l’estime de soi et le profil cognitif. Nous avions évoqués l’étude de Kostogianni, Daoudi et Andronikof (2009) qui nous montre l’impact du haut potentiel verbal sur la dévalorisation de soi notamment. Ces résultats nous ont conduits à émettre l’hypothèse selon laquelle cet effet se retrouverait sur l’estime de soi et le sentiment d’efficacité personnelle. Toutefois, nous n’avons pas observé d’effet significatif (pour rappel, la différence statistique entre nos deux groupes concernant l’estime de soi émotionnelle était limite, avec p =.056, celle du groupe d’enfants ayant un ICV supérieur aux autres indices étant supérieur au groupe hétérogène).
Nos observations lors des rencontres avec les enfants viennent toutefois nous questionner sur la possibilité d’un effet ne ressortant pas significatif en raison de la possibilité de l’impact d’une autre variable. En effet, deux des six participants du groupe d’enfants ayant un ICV supérieur aux autres indices ont présentés des comportements très différents. L’un d’eux est un jeune garçon de 9 ans, scolarisé en classe de CM1 et n’ayant pas effectué de passage anticipé à un niveau supérieur. Il a témoigné lors de notre rencontre d’une réelle souffrance psychique, due à des difficultés d’intégration sociale (moqueries importantes, sur le plan psychique et physique). C’est un enfant qui présente des difficultés d’adaptation scolaire. Il connait de nombreuses réponses aux questions posées oralement en classe et présente de grandes difficultés à gérer sa frustration lorsqu’il n’est pas interrogé et qu’il doit attendre que les autres aient compris. Son enseignante évoque alors qu’il peut finir par prendre la parole sans être interrogé, se lever, et manifester son mécontentement. Il se réfugie très souvent dans ses pensées, orientées vers ses activités de loisirs, et notamment le foot. Sur le plan cognitif, c’est un enfant qui présente des performances dans la norme, sauf à l’Indice de Compréhension Verbale où il obtient la note de 154. L’autre enfant est un jeune garçon de 7 ans, actuellement scolarisé en classe de CE1 et ayant effectué un passage anticipé l’année précédente. A l’inverse du premier enfant évoqué, il se montre très adapté au cadre scolaire, mais présente même un surinvestissement scolaire. C’est un enfant qui aime énormément travailler, qui veut apprendre, et demande pour faire des devoirs supplémentaires chez lui. Il ne souhaite pas avoir de loisirs, et dit ne vouloir que travailler. Il présente des performances à l’Indice de Compréhension Verbale dans la norme « très supérieure » (ICV = 152), et contrairement au premier enfant évoqué, seul l’Indice de Vitesse de traitement se situe dans la norme des enfants de son âge (IVT = 106). Ses performances aux autres indices se situent dans la norme « supérieure », avec un IRP de 140 et un IMT de 136. Ces deux enfants ont un ICV significativement supérieur aux autres indices, mais ne présentent toutefois pas un profil cognitif identique. Nous nous questionnons quant à l’impact des autres indices chez les enfants ayant un très haut potentiel en compréhension verbal sur l’estime de soi et le sentiment d’efficacité personnelle. Est-il possible qu’une autre variable issue du profil cognitif des enfants entre en compte ?
Par ailleurs, un autre questionnement nous est venu lors de la rencontre avec l’une des participantes appartenant au groupe hétérogène. Il s’agit d’une jeune fille de 7 ans. Alors que nous lui expliquons les questionnaires à remplir, elle se met soudain à pleurer, disant qu’elle a « du mal à parler de ses sentiments et de ses émotions ». Elle dit alors « je réfléchis tout le temps, il y a tout le temps quelque chose dans ma tête ». Elle manifeste une grande tristesse face à la difficulté à gérer toutes les émotions et tous les questionnements qui circulent dans ses pensées. Un suivi psychologique allait débuter très prochainement. C’est une enfant qui manifeste une sorte de peur de ce qu’il se passe dans « sa tête », mais aussi une grande souffrance face à toutes ces pensées qu’elle ne parvient pas à gérer, mais qu’elle ne parvient pas non plus à exprimer. Elle ne sait pas réellement pourquoi elle se sent si « triste », quelles sont les pensées qui la perturbent. Sur le plan cognitif, elle présente des performances légèrement inférieures à 130, sauf à l’Indice de Vitesse de Traitement où elle obtient 146 (cf. « TL » en annexe 1). Nous nous questionnons alors quant à l’impact d’une vitesse de traitement supérieure à la norme sur l’estime de soi et le sentiment d’efficacité personnelle. Cela pourrait être une hypothèse à approfondir lors d’une prochaine étude.
- Limite de l’étude et ouvertures
La principale limite de notre étude semble être le nombre de participants. Effectivement, nous n’avons pas pu investiguer la question des interactions entre nos différentes variables indépendantes. Il aurait été intéressant d’observer si l’effet du genre sur la dimension sociale de l’estime de soi s’intensifie ou diminue lorsque l’enfant effectue un passage anticipé, ou s’il varie en fonction du profil cognitif.
Par ailleurs, nous nous questionnons quant à l’impact du profil cognitif. Il serait intéressant d’investiguer la question du lien entre les performances aux échelles de Wechsler et les différentes dimensions de l’estime de soi. Nous nous interrogeons notamment sur les profils d’enfants ayant une vitesse de traitement très supérieure à la norme, mais aussi sur les profils homogènes, présentant au moins trois indices supérieurs à 130. Pour ce faire, un plus grand nombre de profils différents d’enfants intellectuellement précoces serait nécessaire. Notre étude n’a pas permis cette investigation plus approfondie des diverses comparaisons possibles.
Par ailleurs, voyant l’impact de la précocité intellectuelle sur l’estime de soi sociale chez les garçons notamment, nous nous questionnons quant à l’impact du milieu socio-économique. En effet, nous savons que celui-ci n’a pas d’impact sur l’apparition d’un haut potentiel intellectuel (Lignier, 2012), cependant, la France est l’un des pays où il demeure une variable influençant fortement la réussite scolaire (enquête PISA, 2015, [3]). Comme nous l’avons précédemment mentionné, le sentiment de marginalisation face à la réussite scolaire semble avoir un impact sur l’estime de soi des garçons intellectuellement précoces. Ce sentiment, et ainsi cet impact, peut-il varier en fonction du milieu socio-économique des enfants ? Nous pouvons en effet nous demander si le milieu dans lequel les enfants grandissent, et ainsi la perception qui y est donné de la réussite scolaire, peut avoir un impact sur le vécu de cette réussite par les enfants intellectuellement précoces. La dimension sociale de l’estime de soi peut-elle, chez les garçons notamment, varier en fonction du milieu socio-culturel dans lequel ils évoluent ? Ainsi, les jeunes garçons issues de famille d’un niveau socio-économique élevé ont-ils une meilleure estime de soi sociale ? Nous pourrions aussi investir cette question sur les autres dimensions de l’estime de soi. Par ailleurs, étant donné l’impact démontré du milieu socio-économique sur la réussite scolaire, il serait intéressant d’observer dans un premier temps si cet impact est le même entre les enfants tout-venants et les enfants intellectuellement précoces.
[3] Source : Enquête PISA. (2015). « Résultats à la loupe ». https://www.oecd.org/pisa/pisa-2015-results-in-focus-FR.pdf